Corniche d'Amade Bordeaux

Corniche d'Amade Bordeaux

Histoire


Combat de Saucats La ferme de Richemont

Le combat de Saucats 

Le 14 juillet 1944: 13 étudiants sont morts héroïquement
à la "ferme Richemont" de Saucats

 

Malgré les années et l'éclaircissement de nos rangs, je vois que vous n'avez pas oublié le passé. Nous n'avons pas oublié, non plus, le serment de la Résistance et nous n'acceptons pas que le sacrifice des jeunes héros et martyrs de Saucats et d'autres Hauts-lieux soit accaparé par les uns et insulté par les autres.

Je suis et nous serons encore volontaires pour y aller avec eux et pour expliquer le combat héroïque et la mort des jeunes lycéens ou élèves de grandes écoles qui avaient formé, dans ces lieux, une école de cadres destinée à encadrer les prisonniers nord-africains au moment du départ des Allemands. A l'origine et dans la région plusieurs lieux avaient été choisis pour implanter une école de cadres. Ce maquis, sous les ordres du lieutenant François Mossé, étudiant en droit et sciences politiques, qui avait commandé dans le Vercors et dans le maquis de Maurienne, par mesure de sécurité, avait été implanté dans la ferme de Richemont, à Saucats qui, à l'époque, était cachée par la végétation et la forêt. De plus, un homme était en permanence de garde, les jumelles à proximité des yeux. 

Le maquis comprenait une vingtaine de personnes. C'était un maquis de l'O.R.A (Organisation de la Résistance de l'Armée) qui reçut la visite du commandant Perrin (alias général Jouhaud de l'Armée de l'Air). Ce dernier vint passer en revue l'école des Cadres et féliciter le lieutenant pour la bonne tenue de ses hommes.

Le soir du 13 juillet 1944, l'effectif était réduit à 15 unités (20 en temps normal) 13 français et 2 tirailleurs, prisonniers de guerre évadés.

En ce beau matin du 14 juillet 1944, ils étaient tous confiants. Philippe Béguerie, seul survivant de l'attaque avec les deux tirailleurs, sortant pour aller chercher de l'eau, entendit, venant du petit bois de pins du Nord-Ouest, un bruit insolite de brindilles cassées. Driss, le tirailleur, aussitôt averti, saisit sa mitraillette et partit dans la direction indiquée. Il n'avait pas fait 50 mètres que, déjà, les armes à feu crépitaient un peu partout.

Lorsque le lieutenant Mossé, réveillé par les détonations, fit irruption dans la pièce de la ferme, le revolver au poing, et demanda: "Que se passe-t-il?", il reçut une rafale en pleine poitrine et s'écroula mort. 

La "ferme de Richemont" et ses occupants étaient attaqués, venant de l'Est, par 60 Allemands (Gestapo) et de l'Ouest, par une quarantaine de miliciens du gouvernement de Vichy. En tout 110 hommes contre 12 Français Résistants.

Mais que s'était-il passé?

Tout au moins, voilà ce que nous savons: "un jeune du groupe du maquis", parti la veille au soir en permission, avait été arrêté en arrivant chez lui. Les miliciens du gouvernement de Vichy organisent aussitôt une expédition punitive mais, ne se sentant pas assez forts pour opérer seuls, ils demandent à la Gestapo de les accompagner avec une soixantaine d'hommes.

Les jeunes de la ferme de Richemont n'avaient qu'une douzaine de mitraillettes qui interdisaient l'accès des abords de la ferme, dans un rayon de 100 mètres.

La situation risquant de s'éterniser, les Allemands ont recours à un canon de 105 cantonné à la Brède. Ce canon est amené par l'Ouest, à 300 mètres de la maison qui est vite démolie. Les dix survivants songèrent à sortir. Malheureusement, ils ne purent aller loin et les blessés furent lâchement achevés par les miliciens.

Le combat avait duré plus de trois heures. Allemands et miliciens repartirent en emportant leurs morts et leurs blessés. Avant de quitter les lieux, le chef de la Milice avait donné ordre à la mairie de Saucats d'envoyer des hommes pour enfouir les cadavres des malheureux résistants. Mais le commandant allemand responsable, arrivé à Bordeaux, rendait compte. Les ordres qui lui furent alors donnés allaient au contraire de ceux de la Milice.

"Personne ne devait se rendre à Richemont;
tout Français trouvé sur les lieux serait considéré comme complice;
le maire et son adjoint devaient être immédiatement arrêtés".



Mais le maire, les habitants de Saucats, ainsi que les gendarmes se chargèrent, malgré les ordres reçus, de donner des sépultures dignes d'eux, aux héros de la "Ferme de Richemont". Les gendarmes entreprirent d'établir les signalements pour permettre l'identification ultérieure, rendue difficile par l'absence de presque tous les objets personnels, ceux-ci ayant été brûlés par les victimes ou emportés avec les objets de valeur par les miliciens. 

Deux tombes furent creusées au pied des murs écroulés de la ferme et, le 15 juillet vers 16 heures, les cercueils furent descendus en terre et les tombes fleuries abondamment malgré les risques de représailles. Au moment de l'inhumation, les gendarmes rendirent les honneurs militaires.

Dans quelques instants sera fait l'appel des morts. Nous y avons joint celui de Jean-Pierre Bouron (dit "Bougie") qui, le jour de l'attaque était en permission et revenait à la "ferme de Richemont". Il arriva à la fin de l'attaque et se heurta aux miliciens qui l'arrêtèrent, ainsi qu'un jeune charbonnier du coin, un jeune Italien, complètement étranger à l'affaire.

Le colonel Franc, chef de la Milice, vint en personne trouver Bouron dans la prison pour lui demander de renoncer à la Résistance et d'entrer dans la Milice.

Bouron endura ses souffrances jusqu'au bout et n'accepta jamais. Il faut savoir que les jeunes de Saucats avait fait leur cette devise de Bournazel:

"Mon âme à Dieu, mon corps à la France, mon honneur à moi".



La transcription de cette devise fût retrouvée sous les décombres. Le courage de cet homme fit l'admiration de tous les patriotes détenus au Fort du Hà. Il fut fusillé à Souge le 28 juillet 1944 avec Moretto, le jeune Italien complètement étranger à l'affaire.

 



Le combat de Saucats a été connu au lycée le 22 juillet. C'est un adjudant de gendarmerie qui est venu apporter au censeur de l'établissement quelques photocopies, des enveloppes, des papiers teintés de sang et des numéros d'économat prélevés sur des vêtements. C'est lui qui a alors raconté ce qu'il avait pu collecter pour l'identification des victimes. Ce récit s'est ajouté à des témoignages de camarades (Mollat et Bourrieu).

 

Le combat de Saucats.

Les martyrs

 

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Plan de Site

 

Source:
Centre National Jean Moulin.

 

ANERE Lucien
dit "Lulu"

Elève du Lycée de Bordeaux, cours de Coloniale.

né le 12 mars 1924, à Bordeaux. Entré en 1935 au Lycée Michel Montaigne où, pendant neuf ans, il se distingue en tête de sa classe.

BOURON Jean-Pierre
dit "Bougie"

Elève du Lycée de Bordeaux,
classe de H.E.C et Saint-Cyr.

Né le 1er novembre 1925. Manifeste, de très bonheur, sa vocation militaire. Bachelier complet à seize ans. Reçu, en 1943, au concours d'entrée à Saint Cyr. L'école ayant été dissoute par les Allemands, il refuse de s'engager au "Ier régiment de France" ou à la Garde pour ne pas avoir à prêter serment au maréchal Pétain. Il revient alors au Lycée préparer le concours de H.E.C avant de rejoindre Saucats. Arrêté sur la route par la Gestapo, il est fouetté, martyrisé. Refuse un engagement dans la Milice qui lui laisserait la vie sauve. Il sera fusillé à l'aube du 29 juillet, dans les landes de Souge.

BRUNEAU Jean-Claude
dit "Chérubin"

Ancien élève du Lycée de Bordeaux.
Etudiant en mèdecine.

Né le 14 février 1925. Elève de philosophie-sciences au lycée de Longchamps (1942-1943). Passionné de sciences naturelles, doué d'un esprit d'observation très vif et d'une grande adresse naturelle, il se destinait à la carrière de chirurgien.

CELERIER Guy
dit "Guy"

Ancien élève du Lycée de Bordeaux. Elève de seconde 5 Moderne (1943)

Né le 29 janvier 1927, il est un enfant du bassin d'Arcachon. Son père, mobilisé, tombe "quelque part en France". Sa mère, travaillant dans les services de la Croix Rouge militaire, rejoindra plus tard la Résistance. Elle sera arrêtée et incarcérée au Fort du Hâ. A 17, ans Guy Célérier entrera dans la Résistance.

DIETLIN Daniel
dit "Dany"

Elève du Lycée de Bordeaux, cours de Coloniale.

Né le 25 décembre 1924, à Conakry. Entre en 6ème, à 10 ans, au Lycée Michel Montaigne. Reçu en 1941 à son baccalauréat de philosophie. Peu doué pour les mathématiques, il ne peut accéder, ainsi qu'il le souhaite, à la carrière d'officier méhariste. Il se dirigera vers l'administration coloniale.

GLOTZ Jacques
dit "Rivière"

Ancien élève du Lycée de Lyon.

Biographie.

HUAULT Christian
dit "Christian"

Ancien élève du collège de Chinon.

Né le 4 mai 1922, à Villaines- les-Rochers, en Touraine. S'engage le 25 septembre 1941 au 2ème R.A de Grenoble. Pour répondre au désir de sa mère, il renonce à son désir de rejoindre les Forces françaises libres. Janvier 1943, il est appelé par l'organisation Todt où il exercera tous les métiers. Puis, il vient à Bordeaux. Dès lors, il appartient à un groupe de Résistance. Il s'évade de chez Todt; porté déserteur, il est condamné à mort par contumace. Et il vint à Saucats...

HURTEAU Roger
dit "Pacha"
Ancien élève du Lycée de Bordeaux.

Biographie.
MOSSE François
dit "Denis" puis "Noël"
Ancien élève des Sciences politiques de Paris.

Biographie.
PICON Michel
dit "d'Harcourt"
Elève du Lycée de Bordeaux, cours de Saint-Cyr. 

Biographie.
ROUIN Jacques
dit "Dunablat du Toubib"
Ancien élève du Lycée de Bordeaux, étudiant en mèdecine. 

Biographie.
SABATE Roger
dit "Corbin"
Elève du Lycée de Bordeaux,
cours de Saint-Cyr.

Biographie.
TAILLEFER André
dit "Rouquin"

Ancien élève du Collège moderne de Bordeaux. 

Harcelé par la peur de partir travailler en Allemagne, André Taillefer se "camoufle" en travaillant au pair dans diverses maison de commerce bordelaises. Malgré ses précautions, il est requis par l'organisation Todt qui envoie en Allemagne certains collègues d'André. Le 6 juillet 1944, il suivra Christian Huault qui a déjà rejoint Saucats et qui, après une mission sur Bordeaux, rentre à la base.

 

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Le combat de Saucats.
Rapport de Philippe Bèguerie.

 

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Source:
Centre National Jean Moulin

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Le maquis de la ferme de Richemont.

 

 

 

 

1. Le groupe se forme.

Eric faisait déjà depuis longtemps de la résistance, surtout sous forme de repérage d'objectifs militaires des environs de Bordeaux. Il était donc en liaison avec les organisations de résistance de Bordeaux. C'est lui qui nous a réunis. Pour son travail de renseignements, il employait certains élèves de la Corniche d'Amade. 

Il entra en relations avec Denis et commença à organiser le groupe. Il le recruta parmi ses camarades de Corniche et parmi ceux de son frère Dany, élève de Colo. 

Etant un vieux copain de Dany, je demandai à me joindre à eux. Nous devions former un groupe de ville. Nous avions l'intention de louer une chambre, d'y loger nos mitraillettes et d'être prêts à toute opération <i. <br<
Bâton était chargé de notre instruction sur la mitraillette. On avait rendez-vous boulevard du Président-Wilson, devant l'American-Park. On filait en vélo du côté de Mérignac, où l'on apprenait le maniement de la Sten. 

Le Grand Quartier Général était la chambre de Dany et d'Eric. C'est là que nous discutions avec flamme de nos projets. Nous nous y trouvions rarement plus d'un ou deux, ce qui fait qu'avant notre départ je ne connaissais, d'ailleurs fort peu, que Lulu et Gateux.
 Eric possédait des bouquins d'instruction parachutés que nous feuilletions avec joie. Dany, par des croquis rapides, nous montrait le maniement des armes qu'il connaissait. Nous en étions là quand notre départ fut décidé.

 

 

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2. Départ pour le maquis.

 

 

Le jeudi 15 juin 1944, vers midi, Dany se présenta chez moi: "Nous partons demain à 14 heures. Viens chercher les instructions à la maison ce soir." Le soir, fidèle au rendez-vous, je me trouvais dans sa chambre; Denis n'était pas passé; pas d'instructions. Eric savait seulement qu'en raison d'une rafle qui devait avoir lieu le samedi, Denis trouvait plus prudent de nous éloigner. En conséquence, nous devions partir avec armes et bagages à 30 kms. au sud de Bordeaux jusqu'au mercredi suivant. Si rien ne s'était passé, nous devions revenir; sinon on resterait. 

Je devais repasser le lendemain pour avoir des renseignements précis. Denis passa chez Eric dans la soirée et fixa le départ à 14h30, barrière de Toulouse pour les vélos, et à 11 h30, rue Notre-Dame, chez Bâton, pour les autres. Ces derniers partaient dans le camion qui transportait nos armes et nos munitions, camion de Wailliez, dit l'Artisan, des groupes Marc et Antoine. 

A 14h30, nous étions six à prendre le départ, par groupes de deux tous les cinquante mètres.

Bougie et Viau devant,
Eric et moi derrière,
Dany et Gateux ensuite

Après diverses crevaisons et autres incidents, nous nous trouvions arrêtés à l'entrée de Douence par Dunablat, magnifique dans ses culottes de cheval. Etudiant en médecine, il devait remplir les fonctions de toubib, ce qui le fit surnommer immédiatement Petiot. Il commença aussitôt à nous raconter ses exploits de vieux maquisard et nous "en mit plein la vue", à nous autres, pauvres débutants. 

Au bout d'une demi-heure, Corbin et d'Harcourt vinrent nous relever. Ils avaient fait le voyage en camion. Ils étaient arrivés chez Bâton, faisant attention à ne pas faire de bruit, et avaient été ahuris de la manière dont celui-ci maniait tous les explosifs et les armes sans faire attention aux voisins qui lorgnaient le camion arrêté devant la porte. En chemin, deux SS leur avaient demandé de bien vouloir les porter, sans se douter du chargement sur lequel ils étaient assis. 

Clovis Cartier, de Douence, sollicité par Antoine, amenait dans sa charrette les châlits, les matelas et les armes à la maison où nous devions loger. Nous la rejoignons bientôt et déchargeons notre matériel à notre cantonnement; c'était une cabane habitée déjà par trois sympathiques charbonniers. Les deux premiers (le père et le fils) étaient venus à la suite d'un ordre de départ pour le S.T.O que le fils avait reçu; le troisième Toto (Henri Chanrion) de Caudéran, était aussi camouflé dans le chantier Dupuy. Il nous accueillit fort bien et commença dès le début à travailler avec nous; très habile, il nous rendit de grands services. 

Nous nous installons; Denis nous rejoint bientôt avec Bâton. Nous prenons un repas froid. La garde est aussitôt organisée pour le soir: Viau et Bougie, Corbin et d'Harcourt, Philippe et Dany, Gateux et Lulu, Toubib et Rivière. Après de brèves instructions sur la manière de se servir d'une mitraillette, nous nous couchons. Bâton couche dehors. 

Le lendemain matin, dès le petit déjeuner, on forme les groupes; Eric commande le premier avec, sous ses ordres, Viau, Bougie, Corbin, d'Harcourt et Philippe. Dunablat a le second avec Dany, Gateux, Lulu et Rivière. 

Denis nous réunit et nous explique que nous ne sommes pas là en raison d'une rafle, mais pour fonder un maquis. Ceux qui désirent rentrer chez eux le peuvent. Il nous demande une discipline librement consentie. Il est notre chef, lieutenant venant du Vercors. A partir de maintenant, il ne s'appellera plus Denis, mais lieutenant Noël; son adjoint est Eric. 

Nous commençâmes immédiatement l'instruction détaillée sur la mitraillette. On nous en affecte une et nous commençons à l'astiquer. Le soir, instruction sur la grenade.

 

 

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3. Dans la clairière.



Notre lieu de camp ne pouvait qu'être provisoire, étant trop exposé aux vues des résiniers et bergers. On décida donc tout de suite d'en changer. 

Dès le dimanche, on se mit en chasse. Pendant que Toto, aidé par Viau, Bougie, Corbin et d'Harcourt s'occupait d'aménager un appartement sur une lagune, le lieutenant emmena le reste de la troupe en exploration. 

Après pas mal d'heures de marche, nous arrêtons nos recherches, satisfaits du lieu trouvé. C'était une petite clairière entourée de tous côtés par de hautes brandes. A cinq cent mètres, une coupe devait nous fournir les madriers nécessaires aux charpentes. Nous voulions en effet construire des cabanes à demi-souterraines. Le projet en comportait cinq grandes pour y loger les sizaines au fur et à mesure de leur formation; deux petites seraient employées comme P.C du lieutenant et comme cuisine. Une sape à munitions, commencée tout de suite, était ajoutée. Le tout devait communiquer par des boyaux. Une ceinture de petites fortifications était prévue. <br<
Il était trop tard pour commencer le travail; aussi sommes-nous rentrés aussitôt. Le retour fut compliqué; nous avions fait tellement de détours que nous n'avions plus une notion très exacte de la direction du camp; nous sommes quand même arrivés sans encombre. 

Dès lors, nos journées s'écoulèrent monotones, mais certes pas vides. Dès le matin, tous les travailleurs disponibles partaient au chantier. Il ne restait généralement au cantonnement que deux hommes pour la cuisine et la garde des affaires. Une équipe travaillait aux terrassements pendant que l'autre transportait des rondins longs et droits pour la charpente et les taillait aux dimensions voulues. Ceux qui creusaient se relayaient de quart d'heure en quart d'heure; on obtenait ainsi un bon rendement. On changeait de travail chaque demi-journée. La besogne était dure, mais chacun l'accomplissait de son mieux; ceux qui se reposaient racontaient des histoires aux autres. La soif était notre plus grand ennemi. On apportait de l'eau en venant le matin et il en arrivait d'autre à midi avec le déjeuner, portée par l'un des cuistots. Le trajet lui-même pour se rendre au cantonnement était utilisé; à l'aller, on partait chargés de sacs d'explosifs et de munitions, de détonateurs et de cordons allumeurs. Au retour, on déblayait chaque fois une partie du chemin utilisé des nombreux troncs d'arbres entrelacés qui rendaient difficile la marche avec un lourd fardeau. Aussitôt rentrés, un plongeon dans la lagune; ce bain nous délassait. 

Le seul délassement que nous eussions de tout le jour était la soirée. De bonne heure, après le dîner, nous nous étendions sur nos châlits, et l'un d'entre nous faisait la lecture à haute voix. Lulu et Rivière étaient généralement choisis à cet effet; Lulu surtout lisait très bien; les sujets étaient fort variés, depuis quelques livres de philosophie jusqu'aux poètes des différentes époques. La poésie surtout nous passionnait, et je crois que pour beaucoup d'entre nous ce fut une véritable découverte; Ronsard, du Bellay furent souvent choisis; mais peu de poètes furent oubliés. 

A 8 heures, la garde commençait. D'Harcourt et Corbin, spécialement préposés aux relations extérieures, partaient chercher le lait, chez M. Cazenave et chez M. Lapeyre. A cette époque, le ravitaillement marchait bien. Antoine nous faisait parvenir par le camion de Wailliez tout ce qu'il nous fallait; seul le pain manquait; pour le remplacer, au petit déjeuner nous prenions des nouilles cuites dans du lait. Le vin était à discrétion. 

Un jour, pendant que nous étions au chantier, Dany, resté pour la cuisine, vint avertir le lieutenant que deux Marocains étaient venus nous rejoindre; il revint bientôt amenant cette fois-ci avec lui Driss ben Milou et Abda-Allah. Prisonniers évadés, ils avaient appris notre présence et venaient augmenter notre petite troupe. Driss était sergent; acceptés par le lieutenant, ils transportèrent chez nous leurs pénates et nous promirent même de nous amener d'autres nord-africains quand on le leur demanderait. 

Le mercredi, Jean et Dany partirent chez eux pour revenir vers la fin de la semaine. Viau nous avait déjà quittés pour rejoindre des F.T.P. Par contre, la camionnette revint, ramenant trois nouveaux: Pacha, homme plein d'astuces, vrai coureur des bois; Christian et Dédé. Bâton, qui revenait de Bordeaux, apporta un ordre au lieutenant, à la suite de quoi celui-ci nous quitta pour quelques jours. 

Avant de partir, il avait chargé Corbin et Toto d'explorer les environs, au cas où nous ne pourrions rester à cet emplacement. Bâton avait ramené un matériel de cuisine imposant et une abondante réserve de café. Il me prit comme adjoint, et, depuis ce jour-là, je fus cuisinier. Ma besogne était facile vu l'extrême simplicité des menus; les nouilles et les pommes de terre faisaient notre principale ressource. 

Un appareil de T.S.F monté sur piles nous permettait d'écouter les informations et les messages personnels. Les deux charbonniers, autres que Toto, avaient déménagé pour une cabane plus près de leurs fours; la cabane était donc entièrement pour nous. 

Le vendredi soir, Cazenave (qui nous servait d'informateur), nous fit dire par Corbin et d'Harcourt d'avoir à déménager au plus vite car, paraît-il, nous étions repérés. C'était une fausse information qui, comme on va le voir, nous fut cependant extrêmement utile. Aussitôt le déménagement s'organise; nous devions gagner une autre cabane, à un kilomètre de là, appelée le Parc Rouge en raison des tuiles neuves de son toit. Le travail fut long et pénible; vers 2 heures du matin, il ne restait plus au premier parc que les châlits.

 

 

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4. A la cabane de berger.



Notre nouveau cantonnement était une cabane de berger. Des deux parties séparées par une barrière, une seule fut utilisée; l'autre, par trop salie par les séjours prolongés des moutons, ne put jamais être complètement nettoyée; deux de ces côtés donnaient sur un enclos. Les palissades en brandes de 1,50 m, nous cachaient très bien aux vues. Par contre, grâce aux jumelles et à la lunette de marine apportée par Pacha, nous pouvions surveiller très bien les alentours; le pays était découvert à près d'un kilomètre à la ronde. Un homme était constamment de garde, les jumelles aux yeux. Là, les journées furent monotones; on en profitait pour faire la lessive, rendue facile par la proximité de l'eau. Dany nous avait rejoints assez vite; Eric était resté à Bordeaux pour arranger ses affaires de famille. 

Les jeux de cartes furent la grande ressource. Lulu, Dany, Gateux et moi jouions au bridge. Les Arabes apprenaient à qui voulait un de leurs jeux. Les discussions philosophiques aussi allaient bon train, surtout entre les Colo, qui soutenaient tour à tour les théories les plus diverses et les plus poussées. Ils discutaient plus par amour de la discussion que pour défendre leur propre opinion, assez versatile. Seul, Dany s'abstenait; il écoutait sans rien dire, et à la fin seulement donnait brièvement son avis. Les Cyrards, plus "matheux" que philosophes, semblaient en peu décontenancés par ce flot de paroles. 

Depuis notre déménagement, le ravitaillement laissait fort à désirer. Il y avait longtemps que le camion n'était pas venu et nos réserves diminuaient à vue 
d'œil. Corbin et d'Harcourt parcouraient la campagne environnante à la recherche de légumes, tâche difficile dans un pays aussi pauvre. Personne ne se plaignait cependant. D'ailleurs, le travail ayant été suspendu depuis que nous avions quitté la première cabane, on dépensait peu de force pendant la journée. 

Deux jours après le déménagement, des charbonniers, en ouvrant leurs meules, avaient mis le feu à la forêt; l'incendie se propagea vite et notre première cabane servit de refuge aux habitants qui, jour et nuit, se relayaient pour lutter contre les flammes. Notre déménagement avait donc été une bonne chose. 

Le lieutenant revient sur ces entrefaites. Brugières l'accompagnait. Ils ramenaient six douzaines d'oeufs, bien accueillies, car nous n'avions rien à manger ce soir-là. Dès son retour, Noël, partit visiter les emplacements reconnus par d'Harcourt et Toto pour notre nouveau cantonnement; il fit choix d'une ferme; Richemont dans la commune de Saucats, située au centre d'un triangle de routes; elle était cachée au milieu d'un petit bois. Les alentours étaient couverts de brandes, ce qui permettait, le jour, de surveiller tous les environs, juché sur un arbre. Le départ fut décidé pour le mercredi 26 juin. Driss, invité par le lieutenant à recruter d'autres nord-africains, amena Miliani ben Mekki. 

Le ravitaillement devenait de plus en plus difficile; un soir, pour tout le groupe, je n'ai pu donner à dîner qu'un litre de lait et 100 grammes de nouilles; le pain faisait complètement défaut. Un jour, je partis avec Dany faire différentes boulangeries de la région avec quelques cartes. On arrivait dans un village; on allait voir le secrétaire de mairie, qui nous faisait un papier certifiant que l'on passait la journée dans le bourg. On donnait de faux noms et on avait le droit d'acheter un peu de pain. 

On réussit enfin à acheter un mouton. Driss ben Milou, ancien cuisinier au mess des officiers dans son régiment, vint me donner un coup de main pour le faire cuire. 

Le mardi soir, à la tombée de la nuit, Corbin, d'Harcourt et Toto partirent avec la jument et la charrette de M. Cazenave pour aller chercher les munitions que nous avions laissées dans la cache avec les explosifs. 

Le mercredi soir, tout était prêt pour le départ; un camion devait venir nous chercher à la tombée de la nuit et nous emmener; jusqu'à la nuit complète, on attendit en vain. Un incendie ayant éclaté dans la commune, notre conducteur ne pouvait pas quitter le lieu du sinistre sans attirer l'attention des habitants, ce qui aurait été assez mauvais; le départ fut donc renvoyé au vendredi soir. 

Ce jour là, à l'heure dite, le camion arrivait, conduit par son propriétaire, M. Delplanque, un nordique, industriel à Saint-Magne. Il nous amenait en plus un jeune chien-loup (Plastic) dont il nous faisait cadeau. Tout fut embarqué et on attendit la nuit pour partir. Corbin et d'Harcourt, en vélo, devaient rouler devant pour éclairer la marche. Je faisais l'arrière-garde avec Toto. Les autres étaient juchés sur le camion. Nous partions dans une direction tout à fait opposée de manière à dépister les curieux si c'était utile. Nos mitraillettes étaient prêtes à faire feu; ceux qui avaient des casques les avaient mis. 

Le voyage se passa à peu près sans incidents, si ce n'est que Corbin oublia de tourner à un croisement; il fallut donc aller le chercher; et que Toto creva, ce qui ne l'empêcha pas de continuer. 

A l'arrivée, tout fut déchargé dans le plus grand silence. J'étais en sentinelle avec Gateux; la ferme était à 2 km. de la route. Un premier voyage fut effectué pour amener le matériel. Un second suivit; relayé par Rivière et Lulu, nous y prenons part, emmenant chacun deux matelas. On couche à côté de la maison, sous de grands tilleuls et, harassé, tout le monde s'endort. 

Au réveil, désagréable surprise; des moustiques nous ont piqués, nous sommes tous défigurés; pour ma part, j'ai la lèvre supérieure énorme et douloureuse. Peu après, je pars pour Bordeaux.

 

 

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5. A la ferme Richemont.

 



Lorsque je revins, le lundi, la demeure avait bien changé. Au bord de la route, camouflée dans le fourré, une cabane souterraine avait été construite pour y mettre les vélos, la moto du lieutenant, ainsi que le tandem de Bâton avec sa remorque. Prenant pour la première fois le chemin au grand jour, je pus me rendre compte de la situation. Au bord de la route de Saucats au Barp, à un endroit difficile à retrouver, débouchait un ancien sentier qui avait dû autrefois être assez large. Lorsque nous sommes arrivés, la végétation avait pris le dessus, et on ne le distinguait qu'avec assez de mal. Pour l'écoulement des eaux, un fossé était creusé de chaque côté, profond d'un mètre à peu près. Nous cheminions par celui de droite, seul endroit praticable dans cette brousse. Au bout de trente minutes de marche, on arrivait à un bouquet de pins dépassant les brandes environnantes. On quittait le fossé pour prendre un sentier qui nous amenait dans une clairière. En débouchant, on apercevait au premier plan une grange à moitié éboulée; se trouvait ensuite la maison, pas trop mal conservée, malgré son abandon depuis de longues années. Les ronces avaient gagné du terrain et ne laissaient guère qu'un espace de trois à quatre mètres sur trois côtés. Sur la face nord, un espace assez grand, entièrement libre, faisait correspondre la maison et la grange; un puits se trouvait là. 

La maison comprenait cinq pièces; deux étaient entièrement séparées des trois autres. Quand j'arrivai avec Eric, l'aménagement de notre nouvelle demeure était bien avancé. 

Le lieutenant avait réparti le groupe en trois sizaines. Celle de Colo comprenant: Dunablat, Rivière, Gateux, Lulu, Dany et Pacha. Rouquin y fut ajouté, lorsqu'il nous rejoignit. Ils habitaient la chambre n°2. 

Celle des Cyrards comprenait: d'Harcourt, Corbin, Bougie, Christian, Dédé et Guy, nouvellement arrivé. On y ajouta plus tard Chérubin: c'était la chambre n°1. 

La troisième, celle des nord-africains, comprenait: Driss ben Milou, Milliani ben Mekki, Abda Allah, Toto, Ernest, et moi Philippe: c'était la chambre n°4. 

Bâton couchait dans la chambre n°3 où était installée la cuisine, et le lieutenant Noël avait son lit dans la petite pièce n°5. 

On installa une salle à manger sur un côté; deux grosses poutres servaient de bancs; une troisième, posée sur de grosses pierres, faisait la table. 

Lorsqu'il pleuvait, on mangeait dans la quatrième pièce. Dans la grange, on avait creusé une cache pour les munitions; la grange servait aussi de salle de conférence, pour l'instruction militaire. A partir de ce jour, ayant une pièce séparée pour ma cuisine, je vécus un peu moins la vie du groupe; je ne pouvais plus jouer aux cartes avec Lulu et Dany, ni prendre part aux multiples discussions qui animaient la chambre 2. 

Les journées se passaient en exercices militaires, entraînement, théorie sur les différentes armes, manière d'attaquer un convoi, de progresser, etc. 

On réparait les gouttières de la maison. On travaillait aussi à des casemates où l'on devait mettre les F.M reçus par parachutage. Plusieurs exercices furent faits en vue de ce dernier. Tous les jours, on attendait le message à la T.S.F, tout d'abord c'était: "la panthère est enrhumée puis "le coucou chante en mai". 

Nous n'avons pas eu la grande joie de l'entendre, puisqu'il passa le 16 et que nous avons été attaqués le 14. L'avion vint dans la nuit du 16 au 17, mais ne lâcha rien, puisque personne n'était plus là pour répondre à ses signaux. 

Ce parachutage devait avoir lieu entre "La Jalousie", ferme à l'ouest de nous, et Richemont. Les rôles étaient déjà tout tracés. Les uns devaient monter la garde autour; Bâton devait faire les signaux, trois autres tenaient les lampes, je devais rester à la maison pour faire chauffer le jus et en profiter pour monter sur le toit pour repérer les points de chute au cas où un parachute ne serait pas trouvé par ceux qui étaient sur le terrain. 

La garde se prenait par sizaine, à deux la nuit, seul le jour, de 8 heures du soir à 8 heures du matin. Le service consistait à faire des rondes dans un rayon de cent mètres autour de la maison. Dès 8 heures du matin, un observateur était placé dans un arbre, à deux cents mètres de la maison. De là, il pouvait aisément surveiller toutes les allées et venues des alentours. 

Le réveil avait lieu à 7 heures et demie. Aussitôt, le petit déjeuner. Lorsque le café vint à manquer, on prit de la soupe. Propreté des cantonnements et toilette; puis inspection par le lieutenant. Après quoi, Driss nous rassemblait du côté est, colonne par trois. Les sizaines de Cyr et de Colo, toutes deux à majorité d'étudiants, s'étaient débrouillées pour avoir le calot. Celle des nord-africains portait le casque. Des chandails bleu-marine nous avaient été distribués par le lieutenant. L'uniforme était donc assez restreint. 

On se rendait, au pas cadencé, au côté ouest. Là, dans l'encoignure de la maison, entre la chambre du lieutenant et celle des Colos, se trouvait le mât du pavillon, bien camouflé par les murs. On hissait les couleurs chacun à son tour. 

Un matin, le commandant Perrin (qui devint le général Jouhaud, de l'Armée de l'Air), chef régional de l'O.R.A accompagné d'Antoine, vint nous passer en revue. Il félicita le lieutenant de notre belle tenue. Après quoi, le lieutenant nous déclara que, puisque nous étions prêts, on allait pouvoir commencer à nous confier des missions. 

Les Allemands étaient coupés de Paris par la Dordogne. Ils ne pouvaient remonter vers le nord qu'en passant par Marseille. Il s'agissait donc de faire sauter le pont sur lequel le chemin de fer "Bordeaux-Langon" traverse le Ciron. Ceci demandait toute une préparation; une étude approfondie s'imposait pour placer correctement, à un endroit donné, une charge de plastic suffisante. Il fallait connaître l'emplacement du poste de garde, le nombre d'hommes, la fréquence des rondes; savoir les horaires des trains français et des trains allemands. Corbin et d'Harcourt furent chargés d'aller faire les repérages nécessaires. Ils partirent le dimanche 9 juillet; laissant leurs bicyclettes sur le bord, ils traversent le Ciron sur le pont et descendent le long de la rive. Ils s'installent pour déjeuner et pour prendre des croquis. Mais deux Allemands surgissent, gesticulant et criant, fouillant de leur baïonnettes les buissons. Corbin jugea plus prudent de se montrer. Après présentation des papiers d'identité, ils sont expulsés avec défense de repasser la rivière par le pont, contraints de suivre le Ciron jusqu'à ce qu'ils trouvent un pêcheur complaisant qui leur servit de passeur et qui leur donna en même temps tous les renseignements utiles sur la garde du pont. 

La mission était terminée; le pont n'a d'ailleurs jamais sauté, notre groupe ayant été attaqué avant d'avoir pu exécuter le projet. 

Le ravitaillement étant loin de s'améliorer, le lieutenant décida de tenter un coup de main sur un centre de distribution de tickets à Bordeaux. 

On choisit pour cela le centre de la rue du Cloître, près du marché des Capucins. Noël, Lulu et Rivière devaient faire le coup. De manière à jeter un coup 
d'œil sur les lieux, Rivière entre demander un renseignement et ressort aussitôt. Par bonheur, l'agent de service était absent. Tous trois entrent alors et pendant que Lulu et Rivière courent fermer les fenêtres pour ne pas être observés du dehors, le lieutenant fait mettre les employés contre le mur, les mains levées; Lulu Rivière s'emparent de quelques cartes et sans perdre de temps, ils gagnent la sortie. Le tout fut fait en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. La police prévenue arriva un quart d'heure après et fit son enquête. Grâce à des amitiés, nous pûmes nous inscrire dans une "Aquitaine", ce qui nous permit de toucher dix kilos de beurre. 

M. l'abbé Guilbeau, directeur de la colonie des Coqs-Rouges, alors à La Brède, nous avait procuré quelques légumes déshydratés, des biscuits vitaminés et de la farine. Grâce à lui, nous avions pu faire cuire, dans le four qui se trouvait dans la chambre des nord-africains, trois ou quatre pains qui furent fort appréciés, quoique bien noirs et bien mal levés. Pour pouvoir continuer à fabriquer notre pain, il fut décidé qu'on arrêterait un camion de farine qui passait chaque jour sur la route du Barp à Hostens. Un sac devait être prélevé à son chargement et apporté au cantonnement. Le jeudi 13 juillet, l'après-midi, la sizaine des Cyrards fut chargée de l'expédition. Le coup n'ayant pas réussi ce soir-là, les nord-africains devaient le recommencer le lendemain. 

M. Cluzan, de Cabanac, nous avait procuré une assez grande quantité de pois chiches qui servirent à notre entière nourriture pendant les journées du 12 et du 13. Il devait aussi nous procurer des haricots. Nous avions fait une ample provision de pommes vertes et à moitié sauvages, que nous mangions cuites ou en rondelles avec du beurre dessus. 

C'est ainsi que nous sommes arrivés au 13 juillet au soir. 


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6. Le combat.

 



Ce soir là, notre effectif était réduit à quinze. Bâton et Abda Allah étaient partis en tournée du côté de Langon. Toto faisait la liaison avec Bordeaux. Ernest avait quitté le cantonnement le 13 après-midi avec l'intention d'aller chercher une voiture de l'agence Todt du côté de Soulac. Gateux était en tournée de ravitaillement. Bougie s'était déjà absenté depuis quelques jours. 

Les Colos devaient prendre la garde jusqu'à 4 heures: et Miliani me remplaçait de 6 à 8, pour que j'aie le temps de faire cuire le petit déjeuner. Le réveil fut fixé à 8 heures seulement en l'honneur du 14 juillet. 

A 4 heures, quand Driss et moi prîmes la garde, notre surprise fut grande de constater que Miliani avait disparu. A 6 heures, il n'était toujours pas rentré pour me remplacer. Il arriva vers 7 heures, portant sur son épaule un sac contenant deux cuisseaux de vache, encore chauds, et recouverts de leur peau. Trouvant que des pois chiches n'étaient pas une nourriture pour un 14 juillet, il était parti la nuit, avait trouvé une vache, l'avait tuée, dèpecée, et nous en ramenait une partie; cela partait d'un bon naturel, ce qui ne l'empêcha pas de se faire attraper par Driss. Miliani prit donc ma place et je m'occupai activement de la cuisine. 

A 8 heures et 5 minutes, je sortis pour aller chercher de l'eau. Driss et Miliani étaient rentrés depuis déjà dix à quinze minutes pour je ne sais quelle occupation. 

Il me sembla entendre, venant du petit bois de pins au nord-ouest, un bruit insolite de brindilles cassées. Driss, aussitôt averti, saisit sa mitraillette et partit dans la direction indiquée. Il n'avait pas fait cinquante mètres, que déjà les armes à feu crépitaient un peu partout. Je me dirigeai aussitôt vers la maison; par la porte, j'aperçus Miliani qui sautait par la fenêtre de la cuisine et s'enfuyait vers le sud. Il n'avait pas d'armes et ne pouvait rien faire. 

J'étais encore dans l'embrasure de la porte, lorsque le lieutenant, réveillé par les détonations, fit irruption dans la pièce, en pyjama, le revolver au poing. "Que se passe-t-il?" - "Les Boches, mon lieutenant!" Il passe à ce moment là le haut du corps par la porte et reçoit une rafale en pleine poitrine. Il s'écroule et roule contre la cheminée. Peu de temps après, il était mort sans avoir pu prononcer une parole. Par la chambre du lieutenant, je réussis à voir Rivière qui passait la tête par la fenêtre de la chambre des Colos. Je le mis au courant de ce qui s'était passé. C'est le dernier contact que j'ai eu avec eux tous. Pendant ce temps-là, Driss s'était abrité derrière le puits. Après quoi, il avait gagné un trou individuel que le lieutenant nous avait fait creuser. Il se retira en dernier lieu dans une petite fortification, située sur le chemin allant de la ferme à la route de Saucats à Saint-Magne. Aussitôt de retour dans la chambre des nord-africains, je me couchai dans le prolongement de la porte; je voyais alors très bien les miliciens traverser le petit chemin qui nous conduisait à l'observatoire. Ils arrivaient par derrière le hangar; je les distinguais à genoux dans la bruyère; chacun à son tour faisait un bond individuel pour traverser, et disparaissait de l'autre côté. Ils cherchaient à nous encercler. 

Voici en effet ce qui s'était passé, ou tout au moins ce que nous en savons:
Hosteins, parti le veille au soir, avait été arrêté en arrivant chez lui. Les miliciens aussitôt organisent une expédition, mais ne se sentant pas assez forts pour opérer seuls, ils demandent à la Gestapo de les accompagner avec une soixantaine d'hommes; eux-mêmes seront une cinquantaine. Le rendez-vous est fixé: barrière Saint-Médard. Arrivée à Saucats, la troupe se divise en deux. 

Les miliciens prennent la route du Barp; conduit par Hosteins, ils arrivent par le chemin que nous empruntions et attaquent par le nord-ouest. Les Allemands, eux, prennent la route de Saint-Magne et gagnent la ferme par l'est. Nous n'avions pour nous défendre que douze mitraillettes. Cela interdisait l'accès des abords de la maison dans un rayon de cent mètres. Ils ne peuvent s'approcher; la situation risque de s'éterniser. Il faut en finir, et c'est alors qu'ils ont recours au canon. Des "105 tractés" cantonnaient à La Brède; l'un d'eux est amené par l'ouest jusqu'à trois cent mètres de la maison. Il a vite fait de démolir celle-ci. C'est sans doute seulement après les premiers coups de canon que, grièvement blessés, les dix survivants songèrent à sortir. Malheureusement, ils ne purent aller loin, et furent achevés à coups de revolver. 

Bougie, qui devait revenir ce matin-là, arriva pendant l'attaque. Il se heurta aux miliciens qui l'arrêtèrent ainsi qu'un jeune charbonnier des environs, complètement étranger à notre affaire, mais qui eut la malchance de se trouver là. Franc, lui-même, vint dans la prison demander à Bougie de renoncer à la résistance et d'entrer à la Milice. Bougie endura ses souffrances jusqu'au bout et n'accepta jamais. Il fut fusillé à Souges. 

Gateux revint le lundi, amenant ses provisions. Pas de vélos au garage; des traces de tracteurs; de jeunes pins cassés. Tout cela commença à l'inquiéter. En vain il chercha à apercevoir de loin le toit de notre maison. Il se hâta et découvrit enfin tout le drame: la maison démolie, et à côté, douze tombes alignées.

 

 

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05/10/2018
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Biographie du Général d'Amade

Albert d'Amade

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Carrière militaire

Albert d'Amade intègre l'École spéciale militaire de Saint-Cyr en 1874, pour en sortir sous-lieutenant après deux ans de formation. Comme beaucoup de jeunes officiers de sa génération, il est attiré par l'Afrique française du Nord et ses promesses d'aventure. À une époque où l'armée française tout entière entamait sa réorganisation en vue de la Revanche, les vastes espaces algériens, à peine pacifiés (la dernière grande révolte de Kabylie date de 1871), offraient l'opportunité d'échapper à une laborieuse vie de garnison et à de pesantes réflexions doctrinales.

En 1876 donc, le sous-lieutenant d'Amade arrive à Constantine, au 3e Régiment de tirailleurs algériens. Il y sert jusqu'en 1881. En décembre de cette année-là, il regagne la France et le 143e R.I., nanti de son nouveau grade delieutenant. Il reçoit son troisième galon en mars 1885, avec sa mutation pour le 108e R.I. Mais cette nouvelle affectation n'est que purement formelle, puisqu'il part pour l'Indochine en avril suivant, pour servir à l'état-major de la 2e brigade de la division d'occupation du Tonkin. La suite de sa carrière est une suite de séjours en France et d'emplois à l'étranger. Attaché militaire auprès de la légation militaire française en Chine, puis en Grande-Bretagne(1901), il ne revient en France pour une longue période qu'en 1904. Il est alors colonel et chef de corps du 71e R.I.. Nommé général de brigade le 27 mars 1907, il est affecté quelque temps à l'état-major général de l'armée, avant de rejoindre le Maroc.

C'est à cette période que le général d'Amade commence à être connu. Sa mission au Maroc est délicate. Il a en effet la charge de pacifier la province de la Chaouïa. Si à la fin de l'année 1907, après les troubles de juillet et août, la ville de Casablanca et ses abords immédiats sont sécurisés et surveillés par les troupes du général Drude, le reste de la Chaouïa est encore très instable. Les postes français y sont fréquemment attaqués. La présence française est loin d'y être totalement assurée. D'Amade est donc chargé d'expulser de la région les forces dissidentes qui s'y trouvent encore. Celles-ci sont surtout concentrées autour de deux principaux centres de rébellion : Settat et M'Dakra.

À la tête de la colonne du littoral, il met son principe en application. Il remporte ainsi ses premiers succès entre les 2 et 6 février 1908. Le 2 février, sa victoire de Dar-Kseibat lui ouvre la voie de Settat, dont il s'empare quelques jours plus tard. Cette action lui permet de soumettre les Oulad Saïd. Se retournant ensuite contre les M'Dakra, il les combat entre les 18 et 29 février, puis exerce contre eux de violentes répressions (entre les 8 et 15 mars, puis du 11 au 16 mai). Cette campagne pour la moins vigoureuse aboutit à la soumission de ses adversaires.

Mais en marge de son action militaire à outrance, le général d'Amade ne néglige ni la logistique, ni l'aménagement du terrain. Dans les régions pacifiées, il fait installer des lignes téléphoniques qu'il jalonne de gîtes d'étapes et de magasins divers. Dans cette deuxième phase de sa mission, il fait preuve d'une grande activité et d'une incontestable efficacité. Après avoir été pacificateur, il se fait administrateur. Il organise ainsi les camps militaires de la région de Casablanca et se soucie du développement économique de la ville, dont il assure le rétablissement rapide des activités portuaires. En outre, il met sur pied un système d'impôt fondé à la fois sur des taxes sur les marchés et sur les deux impôts coraniques que sont l'Achour et le Zekkat (le premier frappe les productions du sol et le second porte sur le capital en animaux domestiques). Il impose également le versement d'une indemnité de 2 500 000 francs, divisée en trois tranches recouvrables en 1909, 1910 et 1911.

Dans le domaine militaire, d'Amade doit être considéré comme l'initiateur des goums marocains, dont l'avenir devait prouver les grandes qualités guerrières. C'est lui en effet qui organise ces troupes indigènes ayant pour mission de suppléer les troupes françaises en campagne au Maroc, puis de les remplacer peu à peu dans certaines missions. Le 1er novembre 1908, le général D’Amade signe l’ordre du jour no 100 créant les six premiers goums recrutés parmi les tribus de la Chaouia. (Région de Casablanca).

Après une quinzaine de mois de présence, il quitte le Maroc le 22 février 1909. En revenant en France, il se montre particulièrement fier de son bilan, qu'il considère lui-même, non sans raisons, comme "la base de l'œuvre de Lyautey". Général de division depuis le 9 octobre 1908, il prend le commandement de la 9e D.I. en septembre 1909. Dès lors, sa progression dans le haut-commandement est régulière. Le succès de sa mission au Maroc n'y est sans doute pas étranger. Le 25 janvier 1912, il est nommé à la tête du 13e Corps d'Armée puis, le 18 juin suivant, à celle du 6e C.A.. Enfin, consécration d'une carrière, il entre au Conseil supérieur de la guerre le 24 avril 1914.

Première Guerre mondiale

Le , Albert Gérard Léo d'Amade est nommé commandant du Groupe de Divisions Territoriales, et occupe une position défensive entre Maubeuge etDunkerque. Après quelques combats, il bat en retraite. Le général Percin, gouverneur de la place de Lille, qui devait le soutenir, aurait refusé de marcher, comme le lui aurait ordonné le général Joseph Joffre. Quittant les Flandres, Albert d'Amade mène le repli avec une certaine précipitation, traverse Amiens qu'il laisse sans défense et arrête sa course en Normandie ! Là, il assure un temps la couverture de Rouen puis reprend la marche en avant à la suite de la bataille de la Marne. Le, Joseph Joffre le fait relever de son commandement et remplacer par le général Henri Joseph Brugère.

Albert d'Amade aurait eu la faiblesse d'accéder au désir de Joseph Caillaux qui lui aurait demandé ne pas faire marcher la division où se trouvait le régiment territorial de MamersSarthe, composé de ses fidèles électeurs. Sa disgrâce lui est très dure et il essaye même de s'engager comme officier à Légion étrangère ; n'étant pas cassé de son grade de général, il ne le peut pas. Le général Joseph Joffre le fait nommer gouverneur militaire de Marseille.

Le 24 février suivant, il reçoit un nouveau commandement important : celui du Corps expéditionnaire d'Orient, chargé de combattre l'Empire ottoman aux côtés d'une armée britannique. Avec elle, il débarque à Gallipoli le . Après quelques succès initiaux, la campagne tourne court et les Alliés se retrouvent bloqués au sud de la presqu'île par des Turcs bien plus accrocheurs que prévu et solidement encadrés par les Allemands. Comme en France, une guerre de positions se met en place et le général d'Amade se retrouve impuissant à peser sur le déroulement de la bataille. Malade, il rentre en France le 14 mai et cède la place au général Gouraud. Son action dans les Dardanelles lui vaut d'être au centre d'une polémique. On lui reproche notamment son manque d'initiative sur le terrain. Toutefois, il faut reconnaître à sa décharge que l'opération dans son ensemble souffrait de graves défauts de conception, auxquels il ne pouvait rien. D'autre part, les Britanniques, certes plus actifs et plus entreprenants que le corps expéditionnaire français, n'ont pas été plus heureux et toutes leurs tentatives pour débloquer la situation (débarquement à Suvla (el) par exemple) se sont soldées par de sanglants échecs.

Après guerre

Revenu pour de bon en métropole, le général d'Amade termine sa carrière comme commandant de la 10e Région militaire, à Rennes.

Il se retire en Gironde, où il meurt, à Fronsac, le . Il est inhumé le  au caveau des gouverneurs, aux Invalides.

Décorations

 

 

 

 


10/03/2016
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